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Le phénomène des enfants des rues au Congo

Un article édifiant du Point sur les enfants sorciers au Congo. A lire pour mieux comprendre le phénomène des enfants des rues...

Le chemin de croix des enfants sorciers

Superstition.
Un malheur dans la famille, et ils en paient le prix: rejet, «cure d'âme », tortures. Reportage au Congo et en RDC.
DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE CLAIRE NEYNIAL
Chadrack pose ses yeux dans le vide, où ses souvenirs éteignent leur éclat rieur. Il a acquitté à regret la boue du terrain de foot de l'église Don Bosco. Ce matin, Pointe-Noire, le port du Congo- Brazzaville où les palmiers bordent l'océan Atlantique, est assombri par une pluie diluvienne. Le marché de Fond Tié-Tié, au sud-est, est devenu un gigantesque cloaque le long duquel les taxis hors d'âge ont renoncé à éviter les flaques. D'une traite, Chadrack raconte : «Papa avait une nouvelle femme. Quand elle attendait un bébé, elle est tombée malade et elle a dit que c'était ma faute, que j'étais un sorcier.» Les mots se bousculent, dans ce « gros français », comme on dit ici quand on parle trop bien, dont Chadrack
a une maîtrise rare.«Elle a dit que
la nuit j'appuyais sur son ventre. Papa m'avait déjà tapé trop fort avec un bâton [il montre une cicatrice sur
son bras], alors j'ai fui » Après avoir vécu dans la rue, il a été recueilli
par les frères salésiens et, à 14 ans, il est en sixième. L'histoire de Chadrack, celle d'un enfant dont on
ne veut plus et que l'on traite de sorcier, est devenue tristement banale au Congo.
Il y aurait 1 000 enfants des rues, à Pointe-Noire, et le Samusocial international offre aux plus fragiles un hébergement ouvert. Comprendre: qu'ils quittent quand l'appel de la liberté devient plus fort que le bénéfice des repas, du lit et de la sécurité. Ceux qui s'habituent aux contraintes sont intégrés dans des centres de long terme où ils sont scolarisés, ou retournent dans leur famille si la médiation avec les parents réussit.
Maléfiques. « L’accusation de sorcellerie n’est que l’une des causes de l’arrivée des enfants dans la rue »,  relativise Arle Ntonta, régisseur au Samusocial international. C'est Grâce, 11 ans, dont la famille a connu plusieurs décès et qui a été suspectée de communiquer avec des esprits maléfiques car elle suçait son pouce en agitant les doigts. C'est Dieuveil, 13 ans, dont la plaie au tibia, infectée par un staphylocoque, ne guérit pas. Ou Christ, 7 ans, que tout le quartier accusait de se transformer en boa la nuit pour semer le malheur et que sa mère a abandonné au grand marché.
«La sorcellerie, tout le monde y croit en Afrique. Elle sert à expliquer un malheur», analyse John Pogma Tama, psychologue clinicien qui prépare une thèse sur le sujet à l'université de Nantes. Mais l'accusation contre les enfants, autrefois trésors de la famille, est un phénomène récent. «Souvent, elle est liée à une naissance non voulue, issue d’inceste, ou à un comportement difficile C'est une excuse», avance Arle. Pou se débarrasser d'une bouche à nourrir, dans des familles épuisées par la misère, on invoque des «symptômes » de sorcellerie : il est insolent, fait pipi au lit à un âge, mange trop, se permet des « sorties abusives ». Toute manifestation incomprise attire l'accusation: l'épilepsie, un handicap, une maturité précoce... Et certains travailleurs sociaux eux-mêmes ne sont pas sûrs que les enfants soient inoffensifs. «Peur d'eux? Bien sûr que non ! Quand nous les recueillons ils sont normaux, assure une animatrice. Peut-être que leur sorcellerie se limite au cadre familial.. »
Car chaque famille a son sorcier, au Congo, le grand-père qui soigne connaît l'histoire du clan: une figure à l'origine plutôt protectrice. En cas de litige, à Erazzaville, c'est
le tribunal coutumier de Tenrikyo
qui tranche. Sous le portrait du président Sassou-Nguesso, «le plus grand sorcier du Congo» pour beaucoup d'habitants, trois juges écoutent un ingénieur agronome, accusé d'avoir tué «mystiquement» un chef de village pour prendre sa place. Après la séance, le juge Papa Joachin expose la procédure réservée aux enfants : « On envoie un représentant de l'accusé chez trois féticheurs [des guérisseurs traditionnels, NDLR] qui ne se connaissent pas. Les trois doivent dire que l'enfant est sorcier pour qu'on applique leur ordonnance de guérison. Et celui: qui l'a initié vient ici piler du mortier. S'il est coupable, le mortier va le suivre. Ensuite, son ventre va gonfler et il va mourir.»
Les instantes traditionnelles sont pourtant dépassées par un nouvel acteur: les Eglises du réveil. «Le pasteur qui se proclame "docteur en théologie", a échoué à l'école mais a des capacités oratoires, décrit John Tama, le psychologue. Il achète une baraque avec son "diacre", avec qui il partage les bénéfices. Parfois, il suit une petite formation au Ghana ou au Nigeria. » Laplupart du temps,
il se contente d'ingurgiter ce qu'il peut de la Bible sur Internet. Ces Eglises ont du attendre les années 90, la fin du régime marxiste
et la liberté d'association pour s'installer, venant souvent de la République démocratique du Congo voisine. « Des marchands d'illusion !
A ceux, qui racontent leurs malheurs, ils demandent: « As-tu un enfant non biologique dans la famille ? C'est lui la cause, c’est un ndoki  [sorcier, en lingala] "», fulmine Josué Nlemvo Ntelo, coordinateur de l'Association espace enfants. Il facture ensuite une « délivrance » ou «cure d'âme»,
qui peut: s'élever a 200 000 francs
CFA plus de 300 €, quand le salaire moyen tourne autour de 50 000CFA,
76 €), ou organiser des «messes d’intercession » spectaculaires qui aident à recruter des adeptes et assurer des quêtes replètes.
A Brazzaville, le pasteur Bertrand est expert en sorcellerie. «Elle se transmet par le cordon ombilical ou par une initiation, par exemple si un enfant a reçu du pain d'une voisine, avertit-il. Dieu me dit si l'enfant est sorcier, et je vois sa couronne et son sceptre», symptomatiques de sa position dans le
« deuxième monde », celui de la nuit et des songes. «Il le guérit par le jeûne et la prière. Mais, ensuite, c'est comme le palu : il faut les suivre pour qu'il n'y ait pas de rechute. » Parmi les dix-neuf enfants hébergés dans son église, sept resteront toujours chez lui, «parce que les parents ne sauront pas comment réagir». Il montre aussi des photos de dîners où il a officié comme traiteur et où « ses » filles ont fait la cuisine... Interrogé
sur la possibilité d'assister à une messe, le pasteur Bertrand hésite : «Il faut être protégé car, quand on chasse un esprit d'un corps, il s'installe dans un autre...» Rendez-vous est tout de même pris à Talangaï.
Le quartier, au nord-est, a été pulvérisé lorsqu'un dépôt de munitions a explosé, le 5 mars 2012. A côté des programmes immobiliers chinois alternent maisons sans toits, murs effondrés, gravats. Dans l'une des ruelles en pente où les enfants jouent au milieu des ordures, dans les odeurs pestilentielles, se dresse l'église Pain de vie. Une tente, des chaises en plastique, un autel équipé d'une sono alimentée par un générateur qui doit faire rêver les voisins. Les fillettes, elles, vivent dans un réduit en tôle, étouffant et insalubre. Un ordre est lancé en lingala, la porte se referme. La cérémonie débute et les petites, la tête ceinte d'un foulard, se balancent hypnotisées, au son des prières. Après un prêche terminé dans une quasi-transe, où il salit son costume bleu ciel et sa chemise rose
en se roulant par terre, le pasteur Bertrand invite à «contribuer». «On ne vient pas dans la maison de l'Eternel les mains vides,  insiste-t-il, sinon, vous pouvez apporter l'argent demain.» Après un dernier chant, il reprend: «Vous pouvez encore apprêter vos offrandes pour les instruments et le groupe électrogène. »
Dans son « laboratoire », bureau partagé avec d'autres pasteurs, il présente Geoffroy. Le père de Lucie, 8 ans,qui balance ses jambes sur sa chaise en tripotant les perles roses au bout de ses tresses, l'intime de raconter. Elle obéit : «Je suis une sorcïère, pépé et mémé m'ont initiée. Ils m'ont donné la nourriture nocturne et menée au cimetière. Ma mission étai de tuer papa et maman. Je me transformais en oiseau la nuit » A-t-elle vraiment tué dans le deuxième monde? «Oui, beaucoup de gens.» Comment? «Avec un couteau» Qui étaient-ils ? «Je ne sais pas. » Les pasteurs hochent la tête, Geoffroy raconte: «Mes beaux-parents n'ont jamais accepté mon mariage, alors il ont voulu me nuire mystiquement. Sa mère et moi sommes séparés, elle travaille dans le centre du pays et moi aussi je vais partir. Alors je préfère laisser Lucie entre les mains de quelqu'un de spirituellement qualifié. Averti, Joseph Likibi, du Réseau des intervenants sur le phénomène des enfants de la rue, enrage: «Ces aveux sont extorqués, les enfants sont conditionnés! Ces pasteurs profitent de la détresse. Si l'on n'y prend pas garde ça va devenir comme Kinshasa. »
Coupe-gorge. Car, si Brazzaville compte 1,1 million d'habitants, sur l'autre rive du fleuve, Kinshasa en abrite plus de 10 millions. Dans la capitale de la RDC, monstre urbain où les repères et la solidarité du village ont disparu, les croyances
se mêlent, remèdes à une modernité inquiétante. «L'arrivée des Lubas des deux provinces Kasaï a joué, affirme Taty Kuketuka, anthropologue à l'université de Kinshasa.
Chez eux, la sorcellerie commence dès l'enfance. » Le phénomène des enfants de la rue, shégués en lingala, est un fléau évalué par l'Unicef à 30 000 cas. «On en recense entre 2 000 et 3 000 nouveaux par mois», estime André-Abel Barry, conseiller technique chargé de la francophonie qui a été attaché de coopération humanitaire à Kinshasa. La plupart ont été accusés de sorcellerie.
Djon, 30 ans, ancien shégué, connaît ceux qui travaillent au grand marché. Le soir, cette fourmilière devient un coupe-gorge, labyrinthe dont les squelettes de bois se découpent dans l'obscurité. Les enfants y gagnent jusqu'à 1 500 francs congolais (environ 1,20€) pour balayer les étals vides. «Et tu as intérêt à payer, sinon tu vas trouver un gros caca là où tu vends la nourriture», rigole Djon. Assis sur un stand, un petit de 13 ans, qui en paraît 8, flotte dans une veste dont les manches lui arrivent au genou. Il se fait appeler le Gouverneur. «II a un grade de colonel dans leur groupe, c'est un chef»,explique Djon. La nuit, ils dorment où ils peuvent. L'Œuvre pour la réunification des enfants de la rue effectue des maraudes en voiture pour les soigner et leur parler.
Stigmates. Kapeta Bendabenda, 34 ans, leader de l'équipe, est aussi un ancien shégué. Au coin de l'avenue du Progrès et de l'avenue du Flambeau, où la bière coule à flots et où l'on déguste de la chèvre et des brochettes de criquet grillé, les enfants traînent avant de s'allonger devant les boutiques. Bob Marley, 13 ans, arbore un tee-shirt du Real Madrid: «Ici, c'est un bon endroit pour faire la lutte [se débrouiller, NDLR]. Et on se lave dans le fleuve Congo. » Kapeta décrit leur vie : «Les premiers jours, c'est bleusaille. Les nouveaux sont dépouillés de leurs vêtements, violés, battus. Ensuite, il y a une solidarité dans la kamba, la bande. Mais pas pour les gains. Ils se volent ». Déscolarisés, livrés à eux- mêmes, ils sont exposés à tous les risques sanitaires, à commencer par le paludisme et le sida. Dans les centres, même si les stigmates sont douloureux, ils revivent. Ainsi Vicky, 17 ans, ravissante dans une robe qu'elle a cousue elle-même en tant qu'apprentie. Issue d'une famille de neuf enfants de neuf mères différentes, elle est épileptique et vit depuis onze ans dans la rue. «J'ai été chez le pasteur pendant un mois et trois semaines, il m'a fait manger un verre de sel à chaque repas. Il pilait aussi des racines de manguier avec du pili-pili [piment], mélangeait avec de l'eau et me mettait
ça dans les yeux, les oreilles et le nez », raconte-t-elle. Après sa fuite, un autre pasteur lui a promis de la guérir. En la violant.
Au fil des récits se dessinent des pratiques de torture. Les enfants sont affamés, dénudés, battus, parfois « opérés » pour ôter le « germe »
de la sorcellerie, brûlés à la cire sur
les organes génitaux ou au fer à repasser. Et ils avouent. «Déboussolés, ils produisent des fantasmes, ces discours violents où ils "bouffent" les autres, les tuent. C'est terrible parce que, en en parlant, on fait exister la sorcellerie, au contraire des "lavages" traditionnels qui n'impliquaient pas la confession», analyse Sophie Kotanyi, chercheuse à l'université de Heidelberg. La différence entre pasteurs et tradi-praticiens est ce- pendant devenue mince.
Impossible de donner un âge à Papa Marcel, tradi-thérapeute réputé, chauve, édenté et fatigué. Il
se dit prophète et s'exprime en lingala : «Mon père mort m'a transmis la connaissance en rêve et je sais quelle plante mettre dans le nez et les yeux des enfants-sorciers. J'invoque l'esprit démoniaque, que j'anéantis par l'esprit de feu». Derrière lui, une femme au sourire absent est assise
sur un banc. Ses chevilles à vif sont enchaînées l'une à l'autre. «Une malade mentale», éclaircit Papa Marcel en se tapotant la tempe de l'index. Regardant la pluie qui coule du toit, elle avance à pas minuscules pour mouiller sa main. La sanction tombe : un homme la pousse dans une pièce qu'il verrouille. En partant, il faut insister pour la revoir. La porte s'ouvre sur une quinzaine de «patients» en- chaînés, entassés dans un cachot étouffant et insalubre.
Privée de repères, peu éduquée (selon le PNUD, la durée moyenne de scolarisation est de trois ans
et demi en RDC, 186e sur 187 pour le développement humain), la population ne sait plus à quel charlatan se vouer. Que fait l'Etat ? Depuis 2009, une loi sur la protection de l'enfant a été votée. «Nous l'avons diffusée sous forme de bande dessinée, affirme Gauthier Luyela, directeur de la protection de l'enfant au ministère de la Famille. Selon les articles 160 et 161, celui qui accuse de sorcellerie est passible d'un à trois ans de prison et de 200 000 à 1 million de francs congolais. Nous avons aussi créé des tribunaux pour enfants. »
Tambours. Même discours au ministère des Affaires sociales, où Robert Malweki, qui mène avec la Banque mondiale le projet des «Enfants dits de la rue», met en avant les assistants sociaux, la sensibilisation des décideurs, les comités locaux de protection de l'enfant et les brigades des mineurs. Au Réseau des éducateurs des enfants et jeunes de la rue (Reejer), on s'esclaffe, on n'a jamais vu la brigade sur le terrain. L'association, elle, mise sur la « pair éducation ». «Nous avons formé six pasteurs à la psychologie, en leur expliquant le développement de l'enfant, qu'il est normal qu'il fasse pipi au lit, qu'il ait la gale s'il n'est pas soigné, ou qu'il ait faim s'il n'est pas nourri.. Et ils en forment d'autres», détaille Matondo Kasésé, expert du Reejer. Parmi eux, le pasteur Seba, de l'Union pour la promotion et le développement des serviteurs de Dieu au Congo. «L'idée est de montrer que l'enfant est un être à protéger, théorise-t-il. Que c'est une personne qui a de l'importance et un avenir.» Il admet pourtant toujours pratiquer des cures d'âme par la prière, puisqu'on le lui demande. «Certains pasteurs ont quitté le groupe et continuent leurs activités dans la clandestinité», ajoute-t-il.
Ce dimanche, c'est jour d'intercession dans l'église de Maman Anastasie. Les murs sont décorés de moustiquaires, une guirlande et des roses en plastique ornent la croix de bois. Des tambours rythment les chants en lingala et l'assistance, féminine, danse en agitant des maracas confectionnés dans des aérosols. Dans la touffeur kinoise, les fronts ruissellent sous les foulards. Assis sur une natte, des enfants accusés de sorcellerie attendent d'être guéris. Le son monte,
les voix se font plaintives, un pasteur, Papa Andinga,
aidé de Maman Thérèse, asperge les petits d'un liquide. «De l'eau du fleuve Congo, des racines, des poudres des parfums», selon elle. Un assistant agite un tissu saupoudré de talc au-dessus d'eux. «Nakombona yesu yo molimo mabe bima ! Au nom de Jésus, je te chasse de ce corps ! », crie Papa Andinga, secouant l'un, soulevant l'autre, agrippant la tête d'un troisième. Les plus petits pleurent. Quelques jeunes femmes enceintes présentent leur ventre. Dehors, la rue résonne des tambours et des chants des autres églises. Il y en a tous les 20 mètres, entre le linge étendu sur les fils et les mares qui croupissent au soleil cuisant Djon est sorti. «Car un esprit chassé s'installe dans un autre... » Petit il a été accusé d'être sorcier. A tort, bien sûr. Mais on ne sait jamais...
Source : Le Point, 28 novembre 2013
Pour en savoir plus:
Une étude récente du Samusocial à lire: "Enfants et jeunes de la rue à Pointe-Noire - Survivre dans la rue à une rupture de vie familiale"
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